Magwayen, déesse des mers et du monde souterrain de la mythologie philippine

Mélange entre Hadès et Poséïdon, Magwayen est la plus importante des divinités de la mythologie philippine portée par les Visayas. Situées Luzon au Nord et Mindanao au Sud, Les Visayas sont le troisième groupe d’îles qui composent l’archipel des Philippines. Elles sont réputées pour leurs nombreuses plages de sable blanc bordées par des cocotiers.
La mer a joué un rôle primordial dans la survie des peuples de ces îles dès l’Antiquité. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit vénérée, et qu’elle tienne une place considérable dans la culture philippine.

Selon la mythologie des Visayas du Sud, Magwayen est la première déesse de l’eau et des mers. Son aspect féminin est une volonté du dieu suprême et créateur du monde, Kan-Laon, qui souhaitait un équilibre avec le dieu du ciel Kaptan ou Makatpan, d’apprarence masculine.
Magwayen est la personnification de l’océan géant qui recouvre les trois quarts de la planète. Elle éduque, nourrit et apaise les êtres humains. Dans l’Antiquité les tribus philippines vivaient principalement de la pêche. Magwayen était donc la divinité la plus crainte et la plus vénérée.
Nourricière et protectrice lorsqu’elle est calme, la déesse peut aussi s’énerver. Elle sait alors se montrer cruelle et destructrice en provoquant des tempêtes, des inondations, des pluies torrentielles et des pénuries de poissons.

La dualité du caractère de la déité, sa nature active et sa violence, ont fait douter quelques spécialistes du folklore philippin. Ces derniers n’arrivaient pas à croire que ces caractéristiques pouvaient être attribuées au genre féminin, et en ont conclu que Magwayen était un homme.
Il est vrai que les représentations des désastres causés par la divinité sont d’une brutalité extrême, cependant elle est aussi associée à l’éducation, à la protection et à la vie. C’est elle qui permet aux êtres humains de vivre grâce aux ressources qu’elle leur offre, et les protège des potentielles invasions.
Beaucoup de folkloristes voit Magwayen comme une figure maternelle forte, à la fois ferme et bienveillante mais capable de tout ravager. Une vision plus traditionnelle de la femme, et partagée par la culture occidentale.

Rivalités avec les cieux

Magwayen est l’opposé de Kaptan, le premier dieu crée par Kan-Laon. Le dieu du ciel est impulsif, lunatique et agit parfois sans réfléchir. La déesse des mers est plus raisonnable et équilibrée, elle pèse toujours le pour et le contre avant de prendre une décision, et conserve plus facilement son calme. Néanmoins, son flegme peut vite se transformer en froideur, voire en rage impitoyable si elle est contrariée ou énervée.

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Illustration de James Claridades

Dans plusieurs mythes du peuple Cebuano, Magwayen est décrite comme l’épouse de Kaptan. Après une violente dispute, le dieu du ciel aurait rompu avec la jeune déesse. Cette dernière aurait alors plongé au fond des mers pour calmer sa colère.
Dans les récits du peuple Negrense, Magwayen est la rivale de Kaptan. Les deux divinités s’affrontent chaque jour dans le but de savoir qui serait le plus puissant et hériterait du monde. Leur guerre prend fin quand Lidagat, la fille de Magwayen, et Lihangin, le fils de Kaptan, tombent amoureux l’un de l’autre.
Plutôt que de continuer à se battre comme l’avait fait leur parent respectif, les deux jeunes déités préférèrent vivre et avoir des enfants ensemble, faisant ainsi cesser le conflit entre le royaume des cieux et celui des mers.

Magwayen a l’apparence d’une femme mûre. Elle est souvent représentée nue ou vêtue de longue robe bleue marine, et entourée de poissons. Elle porte dans sa main une coquille de conque (budyong) et parfois un bébé symbolisant la fertilité de la nature et des femmes. De temps en temps elle est accompagnée d’une seconde divinité marine qui, selon les spécialistes, serait sa fille Lidagat.

Des fonds marins au monde souterrain

Magwayen est aussi représentée sous la forme d’un océan géant qui atteint tous les continents, y compris les rivières souterraines qui mèneraient les âmes des défunts aux Enfers. La déesse de l’eau et des mers aurait donc un accès privilégié au Sulad, le royaume des Morts. Cette représentation et cette idée ont mené à faire évoluer le mythe de Magwayen.
La divinité est devenue une des figures majeure du panthéon des Enfers dans la mythologie philippine. Dans son nouveau statut, elle n’apparaît plus que vêtue de vêtements noirs. Son visage est également recouvert d’un tissu sombre. Sa fonction est de faire passer les êtres humains sur l’autre rive, de mener leur âme sur son majestueux balangay (bateau traditionnel philippin) jusqu’au Sulad.

La raison de ce changement est également expliquée par la relation entretenue entre Magwayen et sa fille Lidagat. A l’instar de Kaptan qui a fait naître son fils de son souffle, la déesse des mers a enfanté seule sa fille.
Lidagat aurait eu le coeur brisé après l’assassinat de ses quatre enfants par Kaptan. La jeune déesse se serait alors laissée mourir de chagrin. Désespérée par la mort de sa descendance, Magwayen aurait décidé d’accompagner l’âme de Lidagat et de ses enfants jusqu’au Sulad, délaissant ainsi ses premières fonctions pendant très longtemps. Elle délégua ses pouvoirs à d’autres divinités marines qui prirent sa place et celle de sa fille. Magwayen décida alors de devenir la passeuse des âmes afin de pouvoir toujours être auprès de Lidagat et de ses petits-enfants.

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Dessin de Drei SJ

Avant de rejoindre le royaume, Magwayen fût chargée de la création du premier homme et de la première femme. Kaptan lui donna la graine divine, mélange de sa puissance et d’une partie de Lisuga (déesse des étoiles et fille de Lisagat et Lihangin). Magwayen dû la planter et l’entretenir.
Encore endeuillée par la disparition de sa descendance, la déesse prit sa mission très à coeur et s’occupa de la plante comme si elle était son propre enfant. Elle l’arrosa, l’aida à croître, et se mit même à lui parler afin qu’elle ne se sente pas seule.
Un jour, la déesse s’aperçut que la plante était un bambou et qu’il était devenu très grand. Alors la tige s’ouvrit et deux créatures apparurent devant Magwayen. Ils saluèrent la déesse marine. Sikalak et Sikabay, le premier homme et la première femme étaient nés.

Postérité et popularité

Les mythes antiques n’ont pas disparu si rapidement, et celui de Magwayen resta le plus populaire des Philippines jusqu’à ce les Espagnols envahirent l’archipel au XVIe siècle.
Colonisés et christianisés, les Philippins furent contraints de remplacer le mythe de Magwayen par celui de la Vierge Marie (dont l’histoire se rapprochait) et d’oublier les autres divinités de la mythologie. Si les cultes de Kan-Laon et de Kaptan ont peu à peu disparus au profit du Christianisme et de l’idée de dieu unique, il semble que celui de la déesse marine ait continué à être pratiqué, et qu’il ait traversé les époques.

Aujourd’hui la mythologie et particulièrement l’histoire de Magwayen, sont à nouveau bien présentes dans la culture philippine, surtout chez le peuple Visayan. Grâce à lui, Magwayen est l’une des divinités les plus populaires aux Philippines et en Asie.
La déesse aurait d’ailleurs laissé sa trace sur l’île Panay. A la mort de sa fille, avant de rejoindre le monde souterrain, Magwayen se serait séparée de tous ses attributs de déesse marine. Elle aurait enterré sa conque magique sur l’île Panay afin que personne ne la trouve. De nos jours, il existe un plan d’eau sur l’île appelé « Tinagong Dagat ». Ce petit lac d’eau salée située au sommet des montagnes, regorge de poissons qu’il est impossible de trouver ailleurs.

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Illustration de Bianca Bautista

Dans les mythes et légendes du monde entier, il existe des divinités reliées à l’eau, mais elles restent très souvent passives. Magwayen est une des rares déités féminines qui a été pensée et créée afin de contrôler un élément, rôle qui revient presque toujours à des figures masculines.
Loin d’être cruelle ou castratrice, Magwayen fait preuve de sagesse, de fermeté, de détermination et de générosité, mais elle est aussi rusée. Dans les textes antiques, il est précisé que la déesse, son rôle et ses pouvoirs étaient souvent sujets à des critiques de la part des géants des mers et plus particulièrement de Bakunawa. Seule la conque magique de la déesse pouvait repousser ces monstres. A chaque fois qu’ils la défiaient, Magwayen soufflait trois fois dans la coquille et se métamorphosait alors en une créature gigantesque lui garantissant la victoire.
Bakunawa tenta bien de subtiliser la conque magique mais celle-ci resta figé sur son socle malgré tous ses efforts. Il ignorait que seule la déesse marine pouvait l’utiliser.

 

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